A Madagascar, les bidonvilles sont des instruments de propagande
Impossible de passer du côté d’Ampefiloha sans remarquer l’immense bidonville de La Réunion Kely et ses milliers d’habitants qui baignent dans les ordures. Presque tous les jours, je l’aperçois de loin. En cette veille d’élection présidentielle à Madagascar, j’ai voulu donner la parole à cette frange oubliée de la population, qui aujourd’hui est partagée entre espoir et résignation.
Situé en plein cœur d’Antananarivo, le bidonville de La Réunion Kely abrite quelque 2000 personnes vivant dans une misère extrême. C’est l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale malgache. Ici, on trouve une centaine d’abris de fortune construits en sachets plastique. Les habitants vivent au milieu des rats et des ordures. L’odeur nauséabonde du canal d’évacuation d’eaux usées à proximité vient accentuer le chaos. Un triste spectacle !

Conditions de vie difficile
Avec sa femme et ses trois enfants, René, 47 ans, occupe depuis 2010 un petit taudis insalubre de 5m². Comme la plupart des habitants de ce bidonville, il vit de la collecte de déchets dans les bacs à ordure et gagne environ 5000 Ariary par jour (un peu plus d’un euro). « C’est à peine suffisant pour nourrir ma femme et mes trois enfants. Pour arrondir mes fins de mois, je glane quelques articles dans le dépotoir d’Andralanitra pour les revendre après. Tenez, ce poste radio par exemple, je l’ai récupéré dans les poubelles et je l’ai réparé moi-même. » ajoute-t-il en brandissant fièrement l’objet.

Non loin de là, deux enfants défèquent à l’air libre sous le regard impassible des adultes. Une scène banale dans ce quartier où les initiatives d’assainissement sont quasi-inexistantes. « On trouve une toilette publique à l’entrée du bidonville, où il faut débourser 100 Ariary pour faire ses besoins. Mais ici, des gens préfèrent utiliser cette somme pour s’acheter à manger et viennent se soulager aux abords du canal. Au moins, là c’est gratuit. » me confie Célestine, vendeuse de rue.
Pas de papiers
Dans ce quartier défavorisé, la plupart des habitants sont originaires des régions rurales et sont dépourvus de papiers d’identité, pièces pourtant indispensables pour être inscrits sur la liste électorale. Bon nombre d’adultes ne pourront donc pas voter cette année. Mais les rares personnes qui possèdent leur CIN iront-elles le faire ?
Sur un bout de tissu sale étalé à même le sol, Mariette, la cinquantaine, dispose en petits tas quelques mangues ramollies par le soleil. « Oui je possède une carte d’identité et je vais voter car c’est mon droit. Ça fera peut-être évoluer notre situation ! » lance-t-elle tout sourire, mais sans trop d’assurance dans sa voix. En effet, Mariette sait vaguement qu’il y aura des élections d’ici peu, mais elle ne connaît ni la date exacte du scrutin, ni le nom du candidat pour qui elle « veut bien » voter.

Instruments de propagande
Un lieu insalubre et « oublié » mais qui n’en reste pas moins un instrument de propagande efficace pour les responsables étatiques. Rappelons qu’à Madagascar, le premier tour de l’élection présidentielle se tiendra le 7 novembre 2018, avec 36 candidats en lice. Les propagandes seront officiellement lancées le 8 octobre prochain et comme toujours, les bidonvilles et les bas quartiers seront le théâtre des défilements des candidats : discours démagogiques, actions qui resteront sans suites.
Les habitants de La Réunion Kely sont souvent les bêtes de foire de toute cette mise en scène masquée en « fidinana ifotony » (descente sur le terrain). Jusque-là, les passages sur place des dirigeants et des diverses associations ont uniquement servi de propagande. Mais ça ne semble déranger personne si leur misère peut bien faire un peu de publicité pour les politiciens, trouvant ainsi l’occasion de faire quelques dons pour redorer leurs blasons. Les pauvres constituent un super instrument de marketing chez nous ! On leur tend un peu de vivres à Noël, on leur offre quelques tentes neuves suite aux cyclones, mais personne ne se soucie de leur situation sur le long terme.
La preuve est sous nos yeux : les dirigeants malgaches se sont succédés, mais les bidonvilles eux n’ont pas bougé d’un iota. Au contraire, les occupants augmentent chaque année.

Des habitants résignés
Les riverains avouent avoir du mal à s’extirper de cette pauvreté et sont aujourd’hui résignés. « Que pouvons-nous faire, nous les pauvres à part attendre qu’on nous vienne en aide ? Moi, je n’espère rien du futur président. Depuis que je suis ici, trois présidents se sont succédés au pouvoir et notre vie est toujours la même. » regrette Ramasy.
Avant de rajouter, le visage amer :
«Ici, nous survivons au jour le jour, et parfois c’est au-dessus de nos forces. Il y a quatre mois, une voisine est tombée malade car elle n’avait plus rien à manger. Et la mort a vite eu raison d’elle… »
En cette veille des élections présidentielles, j’en appelle aux candidats et/ou aux autorités étatiques. Cessez-donc d’instrumentaliser cette frange vulnérable de la population en leur faisant des promesses que vous ne tiendrez jamais. Vos élections vous les gagnerez d’une manière ou d’une autre. Mais pensez un peu à ces gens qui, eux, ont tout perdu.
Vous vous targuez d’aimer votre patrie, raison pour laquelle vous vous présentez aux élections. Alors voici l’occasion de nous le prouver par des actions concrètes ! Pour citer l’illustre Père Pedro : « On ne lutte pas contre la pauvreté avec des paroles. » Et puis personnellement, je n’en peux plus de voir des séquences de La Réunion Kely illustrer les reportages sur Madagascar. C’est tellement désolant. Il faut vraiment faire quelque chose. Et vite.
A bon entendeur, salut !
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